L’art de l’ennui : pourquoi il faut s’ennuyer (parfois)
« Je m’ennuie. » On a appris à le dire du bout des lèvres, à s’en excuser, à vite remplir ce vide gênant avec une série, un scroll, un projet en plus. Dans notre société de la stimulation permanente, l’ennui fait peur. Il évoque l’inutile, le vide, parfois même la déprime. Et pourtant… les neurosciences, les philosophies anciennes comme les pratiques de pleine conscience nous disent l’inverse : s’ennuyer, c’est vital. Pour notre cerveau, notre équilibre, notre créativité. Et si on réhabilitait l’ennui comme un art subtil de régénération ?
Quand le cerveau respire, il crée
Les recherches en neurosciences le confirment : l’ennui n’est pas un manque d’activité cérébrale, c’est un autre mode de fonctionnement. Lorsqu’on “ne fait rien”, le cerveau active ce que les chercheurs appellent le default mode network – un réseau neuronal impliqué dans l’introspection, la mémoire autobiographique, la projection mentale. Autrement dit : on imagine, on ressent, on fait des liens, on digère l’expérience. Ce mode mental est indispensable à la créativité, à la prise de recul, à la prise de décision.
Le problème ? Ce réseau est constamment court-circuité par nos sollicitations numériques, notre multi-tâche permanent, notre obsession de l’utilité.
Dans les traditions orientales, le vide n’est pas un manque mais une matrice. Dans le Tao, le silence est considéré comme l’origine du mouvement. Dans le zen, c’est dans l’absence d’objectif que l’intuition surgit. Et dans le yoga, le pratyahara – retrait des sens – est vu comme une étape vers une conscience plus fine.
Appliqué à nos vies modernes, cela signifie : ne pas remplir tous les interstices. Laisser du flottement entre deux rendez-vous. Ne pas chercher à optimiser chaque instant. Car c’est souvent là, dans ce rien apparent, que surgissent les idées, les insights, les retournements.
Réhabiliter les activités “inutiles”
Et si le problème venait de notre rapport à la productivité ? Tout ce qui n’est pas “efficace” est relégué à l’arrière-plan. Pourtant, certaines pratiques sans but immédiat ont un pouvoir régénérant immense.
Voici quelques exemples d’activités “non productives” à réhabiliter :
Regarder les nuages passer (oui, vraiment)
Marcher sans destination précise, juste pour sentir l’air sur sa peau
Gribouiller dans un carnet, sans chercher à dessiner
Rester allongé dans l’herbe, sans livre ni musique
Faire la vaisselle en pleine conscience, sans penser à ce qui suit
S’asseoir et respirer, sans méditer, juste être là
Ces pratiques ont un point commun : elles ne servent à rien… sauf à nous reconnecter. Et cette reconnexion, à force, devient féconde. Elle prépare un terreau mental propice à la clarté, à l’envie, à l’action juste.
Et si vous vous programmiez… du vide ?
Cela peut paraître paradoxal, mais dans un monde saturé, il faut parfois planifier le vide. Bloquez des créneaux sans objectif. Refusez les injonctions à la performance continue. Osez dire “je ne fais rien ce week-end”. Offrez-vous une retraite qui n’en est pas vraiment une : pas de programme, pas de défi, juste l’espace pour respirer, digérer, rêvasser.
Ce n’est pas du temps perdu, c’est du temps compost. Celui dans lequel se transforme le trop-plein, pour laisser pousser ce qui compte vraiment.